Intromission émotionnelle en entreprise : L'intelligence émotionnelle, le nouvel allié des managers ?
L’intelligence émotionnelle devient un enjeu pour les entreprises. Elle impacte ses orientations stratégiques, sa clientèle, mais également les relations entre les hommes qui œuvrent pour elle. Elle devient l’outil du manager en quête de performances, car elle agit sur la performance, la prise de décision, le bienêtre des collaborateurs, le turnover et sur la qualité de leadership. L’entreprise doit-elle la considérer comme un atout concurrentiel et un appui pour les défis à venir ?
Les effets positifs de l’intelligence émotionnelle (Sylvie NGO-NGUIDJOL)
Dans un article publié dans le journal Les Echos en juillet 2018, ARNAUD DEVIGNE (directeur général d'Indeed France) fait le constat suivant : « En 2015, une enquête du cabinet CAREWAN révélait que sept projets de transformation d’entreprise sur dix échouent en raison d’une mauvaise prise en compte du facteur humain. Et ce malgré la mise en place d’une direction de la transformation ou d’une équipe d’accompagnement au changement ».
D’après lui, cela est lié à une stratégie focalisée plus sur les aspects financier ou technique, que sur la dimension humaine de l’entreprise. De nombreuses recherches et retours d’expérience confirme la thèse suivante : les entreprises efficientes dans le management du capital humain obtiennent de meilleurs résultats sur le plan business. L’idée d’intégrer les compétences émotionnelles au cœur de la stratégie se développe de plus en plus. De nombreuse théories et études considèrent que les émotions jouent un rôle important dans la gestion des équipes, dans les performances humaines et par extension à celle d’une organisation. Les écrits récents (Daniel GOLEMAN, « L’Intelligence Emotionnelle - Tome 1 » ; KOTSOU Ilios, « Intelligence Emotionnelle et Management » ; ROSSI Régis, Claire LAUZOL, et Didier NOYE, « Les Pouvoirs de l'Intelligence Emotionnelle ») confirme cette thèse et ont contribué à favoriser sa vulgarisation de l’intelligence émotionnelle.
Les émotions sont de plus en plus considérées comme des outils précieux de relations humaines et de la communication. Prendre en compte ses émotions peut favoriser la transmission des informations importantes, faciliter l’analyse d’une situation, favoriser l’adaptabilité des salariés dans un environnement en mutation perpétuelle (crises sanitaires et environnementales, l’intelligence artificielle, management hybride, etc. ...). Ne pas tenir compte de ses émotions peut impacter fortement les relations entre le manager et son collaborateur, entre collègue, mais aussi sur la relation client. Les entreprises ont pris conscience de leur valeur, de leur impact et la considère utile, voire indispensable. C’est le cas de l’entreprise Michel & Augustin qui a fait du climat émotionnel positif la recette clé de leur succès. Elle a dévoilé dans un article du « Journal de net » leur modèle et prototype axé sur le climat émotionnel positif.
On note la présence des émotions dans le recrutement, certainement à cause du contexte généralisé de transformation digitale, le nouveau mode de travail et l’évolution des besoins des parties prenantes. La relation à l’autre, la rétrospection, et la régulation de ses émotions sont des leviers essentiels au développement humain. Cependant, nombreux sont les cadres dirigeants qui n’adhèrent pas à ce postulat qui donnent un rôle central aux émotions. Il convient donc de définir ce concept controversé, de décliner leur rôle et leur pouvoir dans l’enveloppe humaine.
Définition des émotions
Il existe une multitude de définitions issues de recherches universitaires qui décrivent l’émotion comme étant une réaction effective, rapide, un mouvement et une adaptation. Selon Ilios KOTSOU, une émotion est liée à la modification d’un état initial. Le mot émotion est d’origine latine, plus précisément du mot « exmovere » ou « emovere » qui veut dire mettre en mouvement ou mouvement vers l’extérieur. Certains dictionnaires lui donnent encore une connotation négative.
Le petit Robert nous en offre la définition suivante : « État affectif intense, caractérisé par une brusque perturbation physique et mentale où sont abolies, en présence de certaines excitations ou représentations très vives, les réactions appropriées d'adaptation à l'événement ». Régis ROSSI, Claire LAUZOL et Didier NOYE, la décrive comme « une réaction rapide issue du traitement de l’information de notre environnement par notre cerveau, elle nous permet de passer à l’action pour réagir face à une situation ».
Avoir des émotions est donc une chose très positive, c’est la preuve que nous sommes attachés à la vie. Il convient de faire la différence entre l’émotion et le sentiment. L’émotion est perceptible dans le corps, c’est un trouble momentané, physique qui nous alerte dès lors qu’un besoin vital est en jeu ; le corps nous pousse à réagir. Pour Ilios KOTSOU « Le sentiment est une dimension subjective et cognitive de l’émotion, caractérisé par la perception de l’émotion et de ce suit est la cause ». Pour le définir plus simplement, on peut décrire le sentiment comme la perception lucide des émotions.
Le sentiment joue également un rôle d’alerte et nous pousse à nous défendre afin de maintenir un équilibre vital acceptable. Pour apporter une consistance pratique à ces deux notions, il convient de l’illustrer par un exemple : la joie est une émotion immédiate, mais si le cerveau la récupère, cela devient un sentiment d’optimisme plus constant. La vie de nos collaborateurs, clients et cadres dirigeants peut donc être colorée par des sentiments dominants : il s’agit de leur humeur, qui peut être éphémère ou récurrente en fonction des situations.
Communément décrites comme l’ensemble des répliques perceptibles à l’extérieur, les émotions sont également classées en deux catégories : primaire et secondaire. Paul EKMAN, professeur de psychologie au département de psychiatrie de l’université de Californie américain, a étudié les émotions primaires en analysant, dans les années 70, les micro-expressions des visages humains de toutes les ethnies confondues. Dans son ouvrage « Approaches To Emotion », co-écrit avec Klaus R. SCHERER, il a identifié six émotions primaires universelles : joie, tristesse, colère, peur, surprise, dégoût.
Les six émotions primaires universelles (Sylvie NGO-NGUIDJOL)
Ces six émotions sont innées, c’est-à-dire quelles existent depuis la naissance. Les recherches de Paul EKMAN sur les expressions du visage ont présenté six émotions de base, exprimées et identifiées d’une manière identique par des membres de cultures différentes, voire isolées. Les micro-expressions du visage sont instinctives et incontrôlées, mais d’autres peuvent être endoctrinées par le contexte culturel et social. Elles peuvent être contrôlées, régulées afin d’être conformes aux normes sociales et aux règles d’expression appropriées dans une situation culturelle donnée.
De ces émotions primaires naissent une multitude d’émotions plus complexes et plus nuancées, nommée émotion secondaire. Elles se manifestent dans la vie de tous les jours, dans la vie active, personnel, mais aussi dans toutes les cultures. Par exemple, à travers la joie nous retrouvons l’amusement mais aussi le plaisir sensoriel et la fierté. De même, la culpabilité serait l’association du dégout et de la peur. Leur déclinaison est différente en fonction des auteurs, mais on retrouve très souvent : la fierté, l’amusement, le mépris, le soulagement, la satisfaction la gêne, la honte, la culpabilité, l’amour.
La graduation des émotions primaires (Sylvie NGO-NGUIDJOL)
Un environnement en mouvance perpétuelle
Alors que 2020 est considérée comme l’année de transformations marquantes pour les entreprises, la période post COVID est celle de nouveaux défis : télétravail, management à distance, formation à distance, nouveaux outils. Certains de ces changements autrefois considérés comme non impactant, s’inscrivent désormais dans la durée et ce malgré les incertitudes dans lesquelles sont plongées les entreprises. Ces nouveaux enjeux ciblent aussi la ligne managériale qui doit à l’avenir, ancrer solidement le télétravail, développer de nouvelles méthodes de management, donner du sens à leur rôle et missions, maintenir un équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle, mettre l’humain au cœur de l’organisation, reconnaître et développer les talents des collaborateurs.
Les managers et les structures doivent donc implémenter de nouveaux concepts tels que : l’innovation, l’agilité, la collaboration, l’ouverture ou la transversalité. A cela s’ajoute, l’intelligence émotionnelle qui d’après MAYER et SALOVEY est : « la capacité à percevoir l’émotion, à l’intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre les émotions et à les maîtriser afin de favoriser l’épanouissement personnel ». Longtemps considérée comme une asthénie, l’intelligence émotionnel est désormais considérée comme une arme face aux changement perpétuelle du mode actuel.
Son intégration de l’ensemble des processus managériaux (décision stratégique, pilotage opérationnel d’équipe), dans le parcours clients et celui des collaborateurs peut être un atout considérable. Elle permet de mettre l’humain au cœur de la stratégie, de renforcer les compétences managériales, de faire face à la concurrence et de favoriser l’adaptabilité des entités dans un environnement en mouvance perpétuelle et qui devra gérer plusieurs challenges tels que :
- La gestion des Données Clients fera partie des défis que doivent surmonter les banques, en démontrant leur capacité à collecter et à traiter ces données. Bien que ces institutions collectent des données personnelles de leurs clients, elles sont confrontées à des contraintes qui rendent difficile leur analyse, car cela nécessite des systèmes complexes pour les traiter efficacement. La législation qui régit l’usage des données (RGPD) et l’implémentation de l’Intelligence Artificielle en entreprise questionnent également sur l’avenir de l’humain et des émotions dans les organisations.
- Le risque climatique se concrétise pour les banques, par le suivi de la transition énergétique, leur promesse pour une finance verte et la prise en compte des nouveaux risques liés au réchauffement et aux aléas climatiques. Afin de résister aux effets liés au réchauffement climatique, les banques doivent prendre les devants et intégrer la question climatique dans leurs dispositifs de gestion des risques financiers, environnementaux et humains.
- La menace grandissante des nouveaux acteurs (GAFA) est réelle pour les banques traditionnelles. Elles sont bousculées par les géants de la technologie. Cette menace bien que présente n'est pas une fatalité, car grâce à l'intelligence artificielle, l’intelligence émotionnelle et le développement des outils analytiques, elles pourront mieux exploiter les données des clients et transformer le métier. A ce niveau, les règlementations représentent un bouclier qu’elles peuvent utiliser pour défendre leur souveraineté.
- L’arrivée des néo-banques a amené les banques traditionnelles à se renouveler. Actives et récentes, les néo banques utilisent les nouvelles technologies pour séduire les clients pressés et exigeants qui se détournent de plus en plus des banques classiques. Afin de répondre et de synchroniser les nouvelles demandes des clients, les banques ont fortement et rapidement fait évoluer leur modèle.
- La crise sanitaire de 2020 a et aura un impact significatif sur les entreprises. Les banques ont soutenu efficacement et massivement les entreprises qui ont vu leur activité brutalement interrompue par le confinement. Elles ont eu un rôle majeur dans la relance de l’économie après cette crise. Les établissements bancaires ont réussi à s’organiser pour maintenir une présence en agence tout en combinant le travail à distance des fonctions support. Cette crise devrait donner une impulsion supplémentaire aux stratégies digitales, des ressources humaines et managériales.
Dans ce flot de reformes et d’incertitudes, le manager devient le porte-étendard d’une révolution, réinvention et innovation inéluctable. L’entreprise à travers ses dirigeants et salariés, doit entamer une véritable mue pour faire face aux enjeux de demain, ceci afin de satisfaire ses collaborateurs en quête d’équilibre et de sens, des clients plus sensibles au contact humain et d’apporter de la flexibilité à sa structure. Toutes ces attentes portent à croire que l’intelligence émotionnelle est la pierre angulaire du de la stratégie des organisations, du management, mais aussi des ressources humaines.
La généralisation de l’intelligence émotionnelle au sein d’une entreprise
La recherche faite dans le cadre de ma thèse démontre que certaines valeurs émotionnelles sont plus plébiscitées que d’autres. C’est le cas de : la « Coopération », « l’Agilité », la « Bienveillance » et la « Créativité ».
Ces valeurs libèrent les organisations de toute influence hiérarchique, coordonnent les actions de tous les acteurs, répondent aux besoins et aux attentes des différentes parties prenantes. La prise en comptes de ses valeurs émotionnelles permet aux managers donner du sens et de fidéliser les collaborateurs.
Valeurs émotionnelles promues en entreprise (Sylvie NGO-NGUIDJOL)
L’étude propose des pistes de réflexion pour la généralisation des compétences de l’intelligence émotionnelle au sein d’une entreprise. La Banque Postale et d’autres structures ont fait le choix gagnant de porter la valeur humaine et d’en faire leur ADN. Ces entreprises veulent à travers cette politique être des acteurs d’une transition juste, répondant aux enjeux environnementaux, sociétaux, territoriaux et numériques. Elles ambitionnent également de placer l’expérience collaborateur et client au cœur de leur stratégie.
Cette concupiscence n’est réalisable que par le renouvellement des méthodes de management, la performance collective, le développement des compétences techniques et émotionnelles des collaborateurs. Les travaux réalisés s’appuient sur une revue littéraire riche ("Intelligence Emotionnelle et Management" de Ilios KOTSOU ; "Les Pouvoirs de l'Intelligence Emotionnelle". Co-écrit par Régis ROSSI, Claire LAUZOL, et Didier NOYE ;"L'Intelligence Emotionnelle - Tome 1" et Daniel GOLEMAN, etc. …) dans le domaine du management, en particulier, la gestion de l’intelligence émotionnelle. Les informations recensées permettent de comprendre les prérequis de la gestion des équipes, du développement personnel et collectif des salariés, de mettre en place des stratégies gagnantes pour l’entreprise, mais aussi pour ses clients.
Les travaux menés et les recommandations prescrites ont pour objectifs de proposer aux directions des ressources humains un canevas favorisant l’implémentation des différentes compétences émotionnelles (softs skills) tels que : comprendre ses propres émotions, reconnaitre et comprendre les émotions des autres, réguler et canaliser ses émotions, exprimer ses sentiments de façon appropriée et influencer les émotions chez les autres.
Les compétences de l’intelligence émotionnelle (Sylvie NGO-NGUIDJOL)
Des instruments efficients et issue de la recherche pour le mangement à distance sont également proposés. La figure suivante propose les instruments qui ont été plébiscités par des collaborateurs et managers interviewés :
Les outils de cohésion et de motivation (Sylvie NGO-NGUIDJOL)
Ces outils favorisent le management de l’intelligence émotionnelle. Dans le cas du groupe La Banque Postale, l’usage de certains outils (réunions informels, feedback, visio conférence) sont déjà activés, mais sont à l’initiative des acteurs RH des cadres dirigeants. La pratique doit être généralisée à l’ensemble de la ligne managériale. L’enquête réalisée a validé l’idée selon laquelle, l’équipes dans lesquelles ces outils sont mis en place, sont plus optimistes et motivées.
L’étude donnent des préconisations aux directions commerciales et markéting sur la prise en compte des émotions dans la relation client. Ceci via une approche Costumer centric et la construction d’enquêtes spécifiques. L’approche Costumer centric permet à une structure de se renouveler en allant dans le sens de ce que sa clientèle recherche. Il ne s’agit pas de proposer que d’excellents services ou produits au client, mais surtout de placer le client au cœur de l’organisation. L'approche client est un vecteur de différenciation et d’innovation. Les clients veulent aussi bénéficier d’une expérience marquante autours des produite et service proposé.
Les enquêtes spécifiques évaluent le degré de satisfaction ou d’insatisfaction des clients, mais déterminent également le contexte émotionnel qui accompagne leurs expériences avec l’entreprise. Il s’agit concrètement, d’introduire dans les questionnaires de satisfaction client une évaluation simple (en ligne, application, agence, à distance et NPS) du contexte émotionnel ressenti à l’occasion de l’expérience client, selon qu’elle est vécue positivement ou négativement.
Assumer une stratégie centrée sur les hommes et les femmes de l’entreprise
Mettre l’humain au cœur de l’entreprise se fera par la prise en compte des émotions, plus précisément par la mise en place des softs skills émotionnelles dans : la stratégique de l’entreprise, dans le plan de formation de l’ensemble des salariés, le processus de recrutement, la gestion des emplois et des parcours, la construction d’un référentiel de compétences, l’évaluation et la valorisation des collaborateurs.
L’étude empirique a illustré que les salariés sont sensibles à la prise en compte de leurs émotions, mais également de leurs besoins. Un manager doté d’une intelligence émotionnelle est un leader aguerri et capable de gérer et piloter des collaborateurs inquiets et qui sont dans le doute.
Mieux s’armer pour s’adapter aux changements à venir
Charles DARWIN disait : « Ce n'est pas le plus fort de l'espèce qui survit, ni le plus intelligent. C'est celui qui sait le mieux s'adapter au changement ». La traversée de l’océan d’incertitudes se fera grâce à une stratégie émotionnelle assumée, portée par la strate dirigeante, déclinée à tous les niveaux et positionnée comme le facteur clé de succès pour l’ensemble des parties prenantes.
Pour les banques, comme pour les autres entreprises, l’intelligence émotionnelle sera la bouée à laquelle, elles devront s’accrocher pour faire face aux défis actuels et futurs. La gestion de l’intelligence émotionnelle est et sera la clef de voute qui permettra à l’entreprise de s'adapter au changement, de maintenir sa position concurrentielle sur un marché saturé et menacé. Les organisations et en particulier les banques devront considérer le management de l’intelligence émotionnelle comme un avantage concurrentiel, par lequel, leur marque employeur et leur image seront développées.
Sylvie NGO NGUIDJOL, Mastère Spécialisé Sénior Management Bancaire, Promotion 2020/2021, Ecole supérieure de la banque, ESSEC Business School |