Le secteur bancaire est-il toujours aussi attractif ?
Quelles actions les banques pourraient engager pour renforcer leur capacité à attirer les compétences dont elles ont tant besoin ?
Révolution technologique, défis environnementaux et climatiques, nouvelles habitudes de travail : les métiers se transforment et les repères du marché de l’emploi sont bousculés. La capacité à attirer les meilleurs talents devient un enjeu clef, particulièrement pour les banques commerciales défavorisées par une image en déclin.
Nous vivons une période extraordinaire de mutation, qui n’est pas sans impact sur les entreprises, leurs salariés et plus globalement le monde du travail.
Quel que soit leur secteur d’activité, les entreprises doivent d’intégrer l’impact de la révolution technologique en cours (digitalisation, cybersécurité, Intelligence Artificielle, …) et faire face aux nouveaux défis environnementaux et climatiques. De plus, elles sont touchées par les nouvelles habitudes de travail, conséquence de la pandémie du Covid-19. Cette situation entraine donc une évolution rapide des métiers et de l’organisation du travail et la nécessité stratégique de disposer des expertises nécessaires à la maitrise de ces nouveaux enjeux.
Ce besoin de recrutement est encore accru pour les banques dont le profil d’emploi est en pleine transformation. Elles ont un besoin important de profils informatiques, le système d’information étant la colonne vertébrale de leur activité, et ne peuvent donc passer à côté de la révolution technologique en cours (Blockchain, Intelligence Artificielle). En particulier, les banques sont fortement visées par les cyber-attaques et doivent disposer des compétences en cybersécurité permettant de les contrer. La nécessaire digitalisation de leur activité a aussi eu un impact sur la manière de gérer la relation avec leurs clients. Comme les tâches administratives ont été automatisées ou sont maintenant directement réalisées par le client lui-même, les parcours clients évoluent et les métiers de la relation client subissent de fortes transformations, nécessitant davantage de compétences commerciales.
La problématique d’attractivité des banques est souvent résumée au besoin de sens de plus en plus important des jeunes générations et donc à l’inadéquation du travail en banque avec leurs valeurs personnelles.
Un marché du travail complexe à appréhender
Depuis 2019, le marché de l’emploi s’est tendu en particulier pour les cadres et ne cesse de se complexifier. Le besoin de recrutement a évolué vers des postes plus qualifiés, nécessitant des compétences techniques pointues et une maitrise accrue de « soft skills ». De plus, la formation sur les compétences recherchées est souvent limitée, générant un phénomène de pénurie amené à perdurer dans la mesure où la pérennité de ces compétences techniques s’est drastiquement réduite. Il est donc plus difficile de recruter que par le passé, voire impossible, et cette tendance va se prolonger, les compétences recherchées aujourd’hui n’étant probablement pas celles recherchées demain.
Dans ce contexte, les candidats peuvent se permettre d’être plus exigeants. Il devient nécessaire de prendre en compte leurs préoccupations accrues des enjeux sociétaux (inclusion, diversité, …) et leurs nouvelles exigences vis-à-vis de leur travail (télétravail, flexibilité accrue, volonté d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle). On assiste aussi à une relation employeur – employé moins durable, avec des salariés moins attachés à leur entreprise, n’hésitant pas à démissionner, générant de fait une augmentation de la fréquence des recrutements nécessaires. C’est à la fois la conséquence d’une société de plus en plus individualiste et consumériste et l’évolution de la relation contractuelle entre l’employeur et l’employé dont la dominante devient plus transactionnelle qu’avant, sous l’influence des pays anglosaxons. Il est important de noter que certaines thématiques pourtant très médiatisées autour des difficultés de recrutement (besoin revendiqué de sens et d'engagement recherché par les candidats des jeunes générations dites Y ou Z dans leur futur emploi, phénomène du « big quit », moindre engagement dans le travail ou « démission silencieuse ») ne se confirment pas réellement dans les faits et ne se reflètent pas dans les résultats des enquêtes qui ont pu être récemment menées.
Un changement du rapport à son travail (Claudia Senik (RTL,s.d)
Une attractivité à portée de mains
La situation est encore plus compliquée pour les banques. Elles sont souvent déjà perçues comme des structures lourdes et peu innovantes. Pour les profils technologiques, elles sont confrontées à la concurrence de nouvelles typologies d’entreprises comme les fintechs qui se multiplient, les opérateurs télécom ou même les Gafas. Pour les profils de la relation client, elles sont confrontées, d’une part à la pénurie de cadres qui sont devenus leur cible principale de recrutement, et d’autre part, à la concurrence de toutes les entreprises qui cherchent à développer leur force commerciale. Elles doivent aussi lutter contre une communication négative à leur égard du fait des récents profits qu’elles ont pu réaliser en ces temps de crise, qui semblent injustes et peuvent faire fuir les candidats.
Les banques ont évidemment déjà pris des mesures pour répondre à cet enjeu de recrutements accrus dans un marché de l’emploi tendu. Ces actions s’articulent principalement autour de deux axes : l’anticipation et la préparation du recrutement, et le recrutement lui-même.
Sur le premier axe, anticipation et préparation du recrutement, afin de se faire connaitre des candidats, les banques ont toutes développé leur marque-employeur, notion qui traduit la volonté de communiquer autour de leur image et d’en faire la promotion auprès des futurs candidats. Cependant, les résultats et impacts restent mitigés comme le montrent différents articles ou études dédiés à ce concept. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord parce que ce type de communication est réalisé par toutes les entreprises, banalisant les messages et favorisant un « mimétisme institutionnel ». Mais aussi parce que les banques peinent à communiquer sur des résultats concrets et privilégient souvent des communications autour de chartes ou d’engagements, peu convaincantes aux yeux des candidats.
La notoriété joue un rôle prépondérant dans l'attractivité. L'image de marque employeur perçue ne peut donc être stable car elle s'appuie sur des éléments d'information secondaires
Figure 2 - Relation entre la marque employeur et l'attractivité (Maclouf & Belvaux, 2015)
Les banques ont également développé de nombreux partenariats avec des organismes de formation. Cela leur permet non seulement d’inciter à la formation d’étudiants sur des compétences dont elles ont besoin, mais aussi de se faire connaître et de se positionner très en amont sur les profils recherchés.
Elles ont aussi travaillé à répondre aux nouvelles exigences des candidats vis-à-vis du monde du travail en faisant évoluer l’organisation et les conditions de travail, et en communiquant autour de la qualité de vie au travail et sur les modalités de télétravail flexibles. Toutefois, ces évolutions induisent aussi un changement significatif des pratiques de management (pilotage par les objectifs, nécessité d’une communication transverse formelle accrue, …) que les banques commencent tout juste à identifier. L’accompagnement de la couche managériale dans la gestion de ces nouvelles modalités d’organisation du travail doit être renforcé pour tirer le meilleur parti de l’ensemble des efforts menés jusqu’alors.
Enfin, comme les compétences recherchées aujourd’hui ne sont pas probablement celles recherchées demain, les banques doivent impérativement anticiper à plus long terme les compétences à acquérir en identifiant et en quantifiant les impacts des nouvelles technologies ou des nouvelles habitudes sociétales sur ses différents métiers. Et si ce travail a été réalisé sur les métiers liés à l’informatique, il reste encore à décliner sur les métiers de la force de vente.
Sur le deuxième axe qu’est le recrutement, les banques doivent continuer leurs efforts pour s’outiller afin de digitaliser leur processus de recrutement (gestion de viviers, analyse automatique de CV, gestion d’environnements physiques ou virtuels, …) et mettre en place un suivi personnalisé du candidat. Cela leur permettra à la fois une meilleure réactivité dans le processus de recrutement, point clé dans un marché de l’emploi « pénurique » mais aussi une mise en avant de leur capacité d’innovation vis-à-vis du candidat (par opposition à la perception de lourdeur et de manque de dynamisme des banques précédemment mentionnée). L’expérience candidat « Amazon-like » est à portée de mains mais la rapidité que peuvent permettre des processus digitalisés nécessitera également une forte disponibilité des personnes impliquées dans le recrutement, que ce soit dans les équipes RH ou au niveau des managers.
En conclusion, les banques ont de multiples attraits, comme leur capacité à être en pointe sur certaines innovations technologiques (intelligence artificielle, digital, blockchain, …). Elles ont déjà mis en place de nombreuses actions pour améliorer leur attractivité. Elles doivent persévérer en intégrant plus fortement les changements auxquels elles sont confrontées et en s’attaquant à leur nouvelle concurrence.
Les clefs du succès : rupture et ouverture
Elles gagneraient à agir et communiquer comme les fintechs ou les Gafas, en s’inspirant davantage de leurs pratiques et en faisant évoluer les interactions avec les milieux éducatifs et professionnels. Elles devraient délivrer un discours de marque, moins marketing et plus factualisé, mettant en valeur leurs engagements sociétaux, leurs actions en matière de qualité de vie au travail et les expertises technologiques. Les banques pourraient bénéficier d’un travail de communication commun et coordonné au niveau du secteur bancaire pour renforcer leur impact et se différentier encore plus de leurs nouveaux concurrents. Repenser l’organisation des échanges avec les candidats et renforcer l’accompagnement de la couche managériale pour une meilleure compréhension des transformations actuelles (nouvelles modalités d’organisation du travail, évolution des métiers, QVT, …) permettrait d’accélérer et d’améliorer l’efficacité du processus de recrutement qui reste, somme toute, le nerf de la guerre. Enfin, une réflexion autour de nouveaux marchés d’emploi encore peu exploités par les banques ou leurs concurrents permettraient aussi de développer le vivier de candidats et de limiter la pénurie
Encarts proposés
Encart 1 - ou la fin de la fidélisation
Le concept de société liquide a été posé par le sociologue Zygmunt Bauman (2013) pour décrire une société dans laquelle l’enjeu de vitesse a pris le pas sur celui de la durabilité : société de consommation, société de la production en flux tendu, société des technologies de l’information et de la communication.
Réactivité, adaptation, agilité, vitesse d’exécution sont devenus des mots clefs en entreprise, souvent également associés à l’« empowerment » des collaborateurs. Vincent Meyer (2021) éclaire le contexte actuel du marché de l’emploi et les difficultés de recrutement vécues par les entreprises par ce concept de société liquide. Dans un contexte de crises récurrentes, où la vitesse d’adaptation est devenue clef, le développement des compétences est devenu une préoccupation majeure des entreprises qui ont donc cherché à rendre leurs collaborateurs acteurs de leur développement et donc de leur évolution professionnelle. Dans une société de plus en plus individualiste, et consumériste, l’employabilité de l’individu a pris le pas sur la carrière et l’appartenance à un projet de d’entreprise.
Factuellement le rapport du Sénat de 2021 traite des nouveaux modes de travail et titre que les parcours professionnels « ne sont plus des longs fleuves tranquilles » et souligne la fragmentation des carrières professionnelles. « En moyenne, une personne change d'emploi entre 5 et 13 fois au cours de sa carrière ». (Berthet et al., 2021).
Laurence WINTER, Mastère Spécialisé Sénior Management Bancaire, Promotion 2022/2023, Ecole supérieure de la banque, ESSEC Business School |