Quelle orientation pour parer au mal-être digital du banquier ? Comment réussir la transformation digitale backoffice ?
Les banques ont compris que le phénomène digital a fortement fait évoluer le comportement des clients et elles ont pris en leur sein un virage numérique aussi bien sur la stratégie, les processus, l’organisation que sur la conformité. Malheureusement cela influe fortement sur le bien-être du salarié qui reste l’épine dorsale de l’activité bancaire.
Alors au regard du digital, qu’est-ce qui facilite ou freine le salarié ? Pour être plus direct, comment réussir la transformation digitale backoffice ?
Le backoffice représente ici tous les salariés de la banque. Ils sont exposés directement ou indirectement et à des degrés divers, aux effets secondaires de la transformation digitale qui impactent les habitudes, les effets cognitifs et les craintes.
Le digital constitue un grenier pour les banques
Il est clair que le développement du digital est un processus normal et toute institution est condamnée à s’inscrire dans ce dynamisme. D’ailleurs les avantages financiers sont réels et poussent les banques à intensifier l’appétence au digital. Il permet de contenir les frais généraux, par la réduction des bordereaux d’opération, la suppression de certaines charges du personnel (déplacement, célérité, optimisation des processus) et l’assouplissement des coûts de communication (téléphone, publicité…). Il permet aussi d’alléger le traitement des dossiers de crédits et de déceler efficacement les risques (de crédit, de marché, opérationnels, liquidité, refinancement, conformité et réglementaire, stratégique). En fin il aide à améliorer la relation clientèle avec une expérience client personnalisée. Le digital porte les banques sur les réseaux sociaux obligeant le banquier à être omniprésent, hyperconnecté et au service des clients.
Le digital est devenu une pièce maitresse dans le développement des activités des banques. Ces dernières ont élaboré des stratégies de transformation digitale pour dérouiller l’esprit des collaborateurs. Ces stratégies ont permis d’accroître la productivité et d’améliorer la capacité de prise en charge des clients.
Fort malheureusement, elles laissent des marques négatives dans la vie professionnelle et familiale des salariés. L’effet du digital se ressent à trois niveaux à savoir, l’utilisabilité, la dynamique et le caractère intrusif. Il a une responsabilité dans la dégradation de l’environnement qui s’amplifie de jour en jour. Son enjeu est important pour les banques et l’outil de mesure de maturité digitale reste perfectible. Également la convivialité est vectrice de la réussite du digital chez le banquier, de plus en plus jeune.
Le banquier de plus en plus jeune et ouvert à la digitalisation
Par l’utilisabilité le salarié attend que les outils digitaux soient conviviaux à utiliser au regard de son utilité, de sa complexité et de sa fiabilité. Nous savons d’emblée que l’utilité du digital est bien perçue puisque le salarié n’éprouve aucune difficulté à utiliser le système informatique. Cette motivation est certainement liée au fait qu’une partie du personnel est relativement jeune.
L’âge moyen du banquier en France est de 42,1 ans et connait une baisse progressive selon l’Association Française des Banques. Il est plus bas dans l’Union Monétaire Ouest Africain mais la tendance reste la même. En effet, la majorité du capital humain est de la génération Y avec un personnel âgé de 28 à 43 ans en 2023. Elle est née à l’ère de la digitalisation marquée par l’avènement de l’internet et est hyperconnectée. Elle est caractérisée par une perception approximative de la hiérarchie et moins enclins à accepter l'autorité traditionnelle. Son mode de fonctionnement convient aux structures de travail horizontales et les relations de travail collaboratives. Elle est exigeante en termes d’équilibre vie privée/vies professionnelles et peu fidèle à l’employeur.
En revanche, la jeunesse a une bonne ouverture au changement, une forte autonomie et une réelle capacité d’adaptation. Le milieu bancaire observe de plus en plus l’arrivée de la génération Z qui a moins de 28 ans. Ces jeunes sont plus susceptibles à travailler dans les filiales à l’étranger et privilégient l’esprit réseau au détriment du développement de compétences. Ils tiennent à une totale transparence et sont en défiance vis-vis de l’entreprise.
La complexité et la non-fiabilité induisent un sentiment de surcharge de travail
Par contre, avec la prolifération et l’omniprésence de la technologie, le banquier reste affecté par la complexité et la fiabilité du digital. Le métier de banquier est pointu et très régulé. Il se repose sur des logiciels professionnels et des normes basées sur une réglementation drastique. L’acquisition de ces outils digitaux est décidée par le Top management et imposée à tous les utilisateurs. Ils sont parfois trop techniques et nécessitent des formations des spécialistes.
L’adoption du digital n’est donc pas volontaire contrairement aux attentes du salarié de plus en plus jeune et qui tient à apporter sa préférence. Ceci influence négativement leur engouement à se former et à maîtriser les fonctionnalités des systèmes. L’utilisation du digital devient compliquée et provoque un sentiment de surcharge de travail et d’ambiguïté des rôles. L’adoption volontaire du digital améliore la capacité des individus à traiter les dossiers plus rapidement et à être plus productifs. Il est donc important de tenir compte des métiers dans le choix des outils digitaux. Ces derniers doivent être fiables, conviviaux et totalement intuitifs pour atténuer la complexité du métier afin de réduire tout stress.
La dynamique du changement provoque l'ambiguïté des rôles et suscite de l’inquiétude
Le salarié est aussi affecté par le rythme de changement qui suscite des nouvelles demandes d’apprentissage ou de l’adaptation dans le fonctionnement. Cette dynamique provoque l'ambiguïté des rôles, la surcharge de travail et l’insécurité de l’emploi. Le changement est une opportunité à s’adapter aux évolutions et pousse le salarié à consacrer plus d’heures que d’habitude pour faire face à l’innovation et au travail. Ceci engendre un dilemme entre la formation (ou l’adaptation) et le travail. Il provoque donc l'ambiguïté des rôles et la surcharge de travail. Outre cela, l’introduction de la technologie est également perçue comme une menace pour la sécurité de l’emploi et génère de l’anxiété, la dépression et le stress généralisé.
Les banques doivent donc prendre en compte ces trois dimensions pour garantir un capital humain sain et une force de travail optimale. Au rang des solutions deux remèdes sont envisageables facteur temps qui reste indispensable pour que le rythme de changement soit plus digeste et de la mise en œuvre généralisée de la conduite du changement dans l’innovation pour réduire les résistances au changement. Ceci va permettre au salarié de faciliter son absorption et sa perception du digital.
L’hyper connectivité du salarié favorise l’invasion de la vie privée par la vie professionnelle
L’amélioration du regard du digital va avec son degré intrusion. La force du digital réside dans sa capacité à permettre aux individus d’être joignables en tout lieu et en tout temps. Le développement du nomadisme des collaborateurs prend de plus en plus d’ampleur et la généralisation du télétravail en période de Covid a montré l’efficacité du digital. Il a permis d’assurer la continuité d’activité en 2020 et 2021, au moment où le monde économique était complètement à l’arrêt. Son omniprésence est irréversible et le télétravail est rentré dans les bonnes pratiques professionnelles. Il a aussi permis de voir qu’il est possible de concilier vie privée-vie professionnelle. Mais l’on assiste de plus en plus à un envahissement du travail sur la vie privée ; ce qui cause un conflit entre vie professionnelle et vie familiale.
En effet, le besoin de satisfaction du travail a pris de l’ascension sur les individus eux-mêmes. Tout sujet professionnel est devenu urgent et l’envie de le résoudre pousse à joindre les concernés de manière intrusive.
Cet envahissement du digital sur la vie privée soulève des inquiétudes relatives aux questions de la sécurisation des données. 75% des Français sont inquiets quant à la sécurité de leurs données personnelles (Etude de réputation Squad et la Maif 2018). Malgré le fort dispositif de sécurité (physique et virtuelle) et la réglementation en matière de protection des données à caractère personnel, le salarié reste inquiet au regard de la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité des données. Il a pour préoccupation que les données ne soient accessibles qu’aux utilisateurs autorisés, qu’elles soient fiables et complètes et qu’elles soient disponibles partout et en cas de besoin.
Au rang des recommandations, les avantages du télétravail ont montré qu’il est possible de réconcilier la vie privée et la vie professionnelle. Ce mode de fonctionnement a impacté les banques de manière irréversible. Il semble important de réviser le code du travail (ou veiller à son application) de manière à intégrer le nomadisme et le télétravail afin de mieux protéger la vie privée du salarié. Ainsi cette hybridation de travail assurera sainement la productivité et permettra de prendre en compte les nouveaux banquiers qui sont la génération Y et Z. Elle sera confortée par une politique de communication et de sensibilisation pour amener le salarié à positiver son regard sur les incidents informatiques, la réglementation et la cybersécurité.
La digitalisation responsable doit être l’apanage du salarié
Bien que le digital impacte négativement le salarié, il a également un effet moins glorieux sur la nature. Il contribue à 4% dans l’émission des gaz à effet de serre. En effet, la fabrication des ordinateurs et des écrans contribue à la perturbation de l’écosystème. Leurs composants électroniques nécessitent des matières premières comme le cuivre, le nickel, le chrome, l’aluminium, le plomb, l’argent, l’étain... et leur extraction participe à la dégradation de l’environnement dans le monde. En RDC comme au Brésil des rivières entières sont détruites à cause de l’exploitation exagérée des mines. En Chine des milliers de personnes souffrent prématurément de cancer à cause de l’extraction des terres rares indispensables aux outils numériques. Les datacenters et Cloud computing indispensables au fonctionnement des réseaux sociaux et des sites web (big data) font dire à (Carnino & Marquet, 2018) que si « le Web était un pays, il serait le sixième pollueur » au monde. Selon Peace France « …un téléviseur exige l’extraction de 2,5 tonnes de matières premières, et génère 350 kg de CO₂. Autrement dit, avant même d’être utilisé, un téléviseur émet autant de CO₂ que le voyage Paris-Marrakech en avion ».
La seconde source de dégradation du numérique est apportée par l’internet. Le fonctionnement de ce réseau mondial est rendu possible grâce aux longs câbles sous-marins qui servent à connecter les pays. Malheureusement ils perturbent la vie des espèces vivantes dans les océans et la navigation des bateaux.
Pour assoir une digitalisation responsable, Les banques doivent contenir le risque environnement, notamment la pollution et la détérioration de la nature. A ce titre elles doivent recourir à l’énergie verte comme le solaire pour réduire l’emprunte carbone ; optimiser les data center en réduisant le nombre des machines par l’adoption des serveurs virtuels, la mutualisation des centres de traitement informatique. Elles doivent certifier leurs data center suivant la norme ISO 14001 portant sur le management de l’environnement et aussi censurer les fournisseurs qui importent des ordinateurs des pays peu respectueux des normes environnementaux.
La transformation digitale s’inscrit dans l’ordre normal de la vie
Malgré ce côté peu glorieux face à notre environnement si cher à tous, le digital est avant tout un mouvement générationnel et trouve d’emblée un terrain propice chez les jeunes. C’est l’aboutissement d’un long processus amorcé depuis la nuit des temps pour répondre à la préoccupation de l’Homme de véhiculer ses pensées. La recherche continuelle d’améliorer sa communication ainsi que le traitement de l’information reste l’ADN de l’humain. Cinq temporalités ont meublé le parcours de la technologie dans le temps :
- Au XVe siècle avec l’invention de l’imprimerie, la circulation de l’information et du savoir en version papier a connu un grand essor dans le monde.
- Le XXe siècle a connu le stockage et le traitement de l’information en version électronique avec le développement de l’informatique.
- L’année 2007 a connu un fort développement du numérique marqué par l’appétence à l’internet avec l’adoption quasi généralisée des smartphones. Le téléphone ne sert plus seulement à téléphoner et est devenu un outil de travail.
- L’année 2010 a vu la transformation en profondeur de l’informatique. Elle n’est plus un domaine réservé uniquement aux techniciens de la technologie. Elle est devenue une économie numérique intégrant les dimensions RH, Finance, Sécurité, Gouvernance des données…
- De nos jours, les banques sont en plein pied dans l’intelligence artificielle où la prédiction et la prescription font de la donnée, une mine d’or. La machine tente d’imiter l’Homme dans la prise de décision sur la base de l’expérience passée.
L’appréciation de la maturité digitale est perfectible
En fait, la prédominance du digital dans les banques fait partie de la stratégie. Le processus de transformation digitale est savamment orchestré avec sa démarche qui passe par la mesure de la maturité digitale. Elle consiste à faire le diagnostic, avec un regard orienté vers la satisfaction clientèle, par l’identification des outils existants et par la revue de l’organisation et le fonctionnement des services. Au vu de cette analyse, les projets sont élaborés pour élever le degré d’intrusion du digital (outil, réflexe, expérience client…) toujours en rapport avec la clientèle. Le ressenti du salarié est faiblement pris en compte et il ignore sa responsabilité dans la contribution du digital à la dégradation de l’environnement (4% d’émission des gaz à effet de serre). Il importe donc d’ajuster la maturité digitale globale avec la maturité digitale du salarié. Comme énoncé plus haut, la transformation digitale induit chez le salarié la surcharge de travail, l’ambiguïté du rôle, l’atteinte à la vie privée, le conflit travail-famille et l’insécurité de l'emploi (Ayyagari et al., 2011). Ceci engendre l’anxiété, l’inquiétude, la dépression et le stress général laissant le salarié à son propre sort. En effet le technostress est le stress provoqué par une utilisation exagérée du digital face à ses possibilités d'adaptation. Il provoque la diminution de la satisfaction au travail et une faible productivité.
Néanmoins il peut avoir un côté positif. La manifestation de stress est orientée par la façon dont le salarié évalue le facteur de stress (positif ou négatif) par un processus cognitif et la perception de ses facteurs de stress détermine sa réaction. De ce fait, le stress que les salariés subissent provoque un effet psychologique positif chez certains et les pousse à percevoir le digital comme une occasion d’améliorer leur performance (Califf et al., 2020). Les banques ne considèrent que ce bon côté du technostress perçu comme favorisant l'accomplissement des tâches professionnelles.
La surcharge de travail causée par la recherche continuelle de compétence et la connectivité ; l'ambiguïté de rôle induite par le changement et le sentiment d’être notifié ; le conflit travail-famille et l’insécurité de l'emploi constituent le mal-être du salarié. Ce sentiment provoque aussi du technostress qui s’ajoute aux inquiétudes liées à la protection des données à caractère personnel. Ces phénomènes doivent être prises en compte dans le processus de digitalisation et les banques se doivent de leur accorder autant d’importance que la recherche de la satisfaction clientèle. La crise Covid a inéluctablement enfoncé le digital dans le monde du travail et cette nouvelle donne doit être prise en compte aussi bien pour la bonne performance des banques que le bien-être de leurs salariés.
Hugues E. TAKOUGNADI, Mastère Spécialisé Sénior Management Bancaire, Promotion 2021/2022, Ecole supérieure de la banque, ESSEC Business School |